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Exiger des efforts pour progresser : Est-ce dépassé ?

L’époque actuelle trahit un paradoxe où la réussite, de tous et de chacun, sous toutes ses formes et sur différentes échelles de temps se confronte au refus d’un nombre croissant de consentir à faire les efforts nécessaires pour y arriver : Certains voudraient progresser voire performer sans persévérer, maigrir ou arrêter de fumer sans faire de "sacrifices" , être reconnu sans dépasser les apparences, étudier sans lire et plus généralement réussir sans faire d’effort.

  • "Faire des efforts", est-ce dépassé ?
  • Peut-on alors encore exiger des sportifs qu’ils fassent des efforts pour réussir ?

Physiques, alimentaires, d’attention, d’écoute, de concentration, de rigueur, de récupération, de respect…
«  Faire des efforts ! » : L’expression est tellement courante que la plupart oublie d’en interroger le sens et le bien fondé. Les entraîneurs exigent ainsi des sportifs qu’ils fassent des efforts, faisant de ce paramètre le principal déterminant des progrès voire de la réussite et de son absence, son corollaire, l’échec : «  La réalisation d’une performance sportive est souvent présentée tout à la fois comme l’objectif et la récompense de tous les efforts consentis lors de séances d’entraînement  » Knobé (2008).
Mais, tout comme la forme peut fluctuer, «  l’effort peut être désordonné, manquer de but et manquer de constance » Carfantan (2002).

  • Comment dépasser cette exigence pour organiser l’engagement physique et mental des sportifs ?

Apprendre à attribuer ses réussites et ses échecs à l’effort
L’idée a été proposée par Famose (1993) qui a démontré qu’à l’issue de compétitions, les sportifs qu’il a interrogés attribuent leurs réussites ou leurs échecs à quatre types de causes :

Attributions causales selon Famose (1993)
Stables : Instables :
Internes : L’apprentissage L’effort
Externes : La difficulté de la tâche La chance

Ce qui est déclaré par les sportifs n’est pas la réalité mais leurs représentations mentales ou idées qu’ils se font des causes de leurs réussites ou de leurs échecs. Or, ces représentations sont déterminantes de l’attitude mentale des sportifs, de leur niveau d’engagement et de persévérance.
Les optimistes auraient tendance :

  • à attribuer leur réussite à des causes internes et stables («  j’ai atteint un super niveau, je suis trop fort »),
  • à attribuer leurs échecs à des causes externes et instables («  je n’ai pas eu de chance »),
  • à singulariser leurs échecs (« pour une fois, ça n’a pas marché »),
  • à généraliser leurs réussites (« comme d’habitude, j’ai encore réussi »).

Cette attitude mentale leur permet de se convaincre de persévérer.
Les pessimistes auraient tendance :

  • à attribuer leurs échecs à des causes internes et stables («  je suis nul »),
  • à attribuer leurs réussites à des causes externes («  j’ai réussi parce que j’ai eu de la chance  » ou « … parce que c’était facile »), qui ne dépendent donc pas d’eux,
  • à généraliser leurs échecs,
  • à singulariser leurs réussites.

Adoptant à terme une attitude dite d’"impuissance d’action apprise" (Famose, Op. Cit.), les pessimistes ont tendance à abandonner l’activité.
L’idée serait alors d’enseigner aux sportifs à attribuer leurs réussites et leurs échecs à la seule cause interne et instable mais contrôlable : L’effort. Il s’agit ainsi de les responsabiliser voire de les engager dans un processus de persévérance, lequel augmente significativement leurs chances de réussite.

Mais de quels types d’effort s’agit-il ?

« Faire des efforts » : une expression polysémique
«  L’effort renvoie des significations contrastées en fonction du regard qu’on lui porte : concentration, application, investissement, attention, persévérance, opiniâtreté, mais aussi acharnement, travail, labeur. Il suggère une intensité, une quantité, mais aussi une orientation, une focalisation, sur un mode plus qualitatif  » Delignières (2000).
Certes l’effort n’est pas un concept scientifique mais un terme employé couramment au sens commun. Pour autant, ce terme incite à distinguer efforts physiques et efforts mentaux voire moraux (Knobé, 2008).

Efforts physiques
Quoiqu’il en soit, au sens commun « […] de travail, de muscle, de fréquence cardiaque, de sueur et de fatigue  » (Delignières, Op. Cit.), on peut opposer diverses conceptions techniques (e.g. : "méthode des efforts maximaux et méthode des efforts répétés" dixit Zatsiorsky, 1966) qui ne sont pas sans rapport avec des classifications scientifiques, « efforts de vitesse, de résistance ou d’endurance […] fonction des processus énergétiques [et] effort sous-maximal, maximal ou sur-maximal […] » (Delignières, Ibid) et des procédés médicaux : préparation à l’effort, tests d’effort, épreuve d’effort.
Dans tous les cas, faire des efforts consisterait à « lutter contre la résistance du corps » Carfantan (2002).
Mais, phénomène complexe avec, entre autres, ses dimensions physiologiques et psychologiques, la notion d’effort n’est le monopole d’aucune discipline de recherche.
Par ailleurs, l’effort physique ne peut pas être dissocié de l’effort mental qui le sous-tend.

Efforts mentaux et significations morales
Dans le discours commun, l’effort fait référence à la volonté, concept à connotation morale binaire : Certains auraient de la volonté et d’autres pas ! Une façon pour l’entraîneur de s’affranchir de son devoir de motiver.
D’un tout autre point de vue, objet d’étude de la psychologie «  dans sa dimension mentale » (Delignières, Op. Cit.), le terme "effort" fait plus précisément et notamment référence à l’attention, à la concentration : «  l’effort mental vise à concentrer les capacités de réflexion, d’analyse, de raisonnement sur le problème à résoudre […] c’est aussi tenter de faire abstraction de tout ce qui peut distraire, perturber, interférer avec cette activité  » (Ibid). Les chercheurs parlent de charge mentale et de coût cognitif.

Quels efforts peut-on légitimement attendre voire exiger des sportifs ?

Coacher par l’effort
L’effort comprend une dimension subjective appelée effort perçu (Borg, 1962) ou sensation de pénibilité vécue. «  La réalisation d’une performance […] s’inscrit généralement dans une histoire longue faite d’entraînements et d’efforts répétés à l’intensité plus ou moins prononcée. Cette discipline à laquelle s’astreignent de nombreux sportifs s’apparente à une forme de violence sur soi. Elle s’objective entre autres dans des ressentis corporels souvent douloureux […] » Knobé (2008). C’est cette dimension qui doit être prise en compte dans ce qu’elle a de singulier chez chaque sportif.
Nous pensons qu’il est légitime d’exiger de la persévérance, mais sans que la sensation de pénibilité prenne le dessus sur celle de contrôle de l’action.
En pratique et paradoxalement, le sportif doit pouvoir prendre en compte ses ressentis pour ajuster chaque répétition, indispensable à l’automatisation de la gestuelle technique et au développement de la condition physique. Cette attention portée sur les ressentis (appuis, posture, tensions musculaire, relâchement, vitesse, respiration), rend bien plus efficace l’apprentissage que la répétition mécanique sans concentration (vs. Contrôler le geste).
Pour réussir, il faut automatiser, donc répéter, mais répéter intelligemment, c’est-à-dire en ajustant chaque "tentative" à partir de ses ressentis.
Nous sommes ainsi partisans d’une exigence d’implication dans la durée, d’énergie consacrée à la tâche, assorti d’une exigence de méthode et d’attention. Il est donc, de notre point de vue, légitime d’exiger des efforts de concentration.

Coacher sans "effort"
«  L’exhortation à faire des efforts revient […] comme un véritable leitmotiv dans les discours de la plupart des entraîneurs et éducateurs sportifs  » Knobé (2008).
Pourtant, l’injonction « faites des efforts » reste creuse, tant elle ne précise en rien ce sur quoi doivent porter ces efforts et comment s’y prendre pour réussir. Elle n’est porteuse d’aucune explication et n’a de ce fait qu’une faible portée pédagogique.

Comment alors entraîner en s’affranchissant de cette injonction ?

Si le sportif est à la recherche de la performance, l’entraîneur doit être un pourvoyeur de réussite sur toutes les échelles de temps, de la répétition du geste à la carrière sportive. Mais, la réussite dépend des efforts que le sportif consent à faire, l’entraîneur ne faisant qu’aménager les conditions d’émergence de ces réussites et guider le sportif.
A court terme, c’est permettre au sportif de prendre du plaisir de pratiquer, de mesurer ses progrès, de réussir, d’expérimenter différentes techniques et de manipuler des objets techniques, de se confronter à des adversaires et des environnements variés.
A moyen terme, c’est l’aider à donner du sens à son engagement, à mettre en évidence des progrès avérés et ainsi entretenir la motivation.
A long terme, c’est aider le sportif à choisir, en l’aidant à définir des objectifs et des sous-objectifs, à planifier des étapes, impliquant de renoncer à des dérivatifs.

Conclusion
Peut-on encore demander aux jeunes de faire des efforts pour réussir ?
Affirmer le contraire, laisserait croire qu’il est possible de réussir sans faire d’effort : Un discours aussi mensonger qu’irresponsable, incitant à attribuer l’échec à des causes externes : L’entraîneur, l’arbitrage, la tricherie adversaire ou encore leurs professeurs, les politiciens, la conjoncture, la (mal)chance... Une conception particulièrement irresponsable lorsqu’il s’agit de former les générations futures.
A l’inverse, nous prônons l’idée que la réussite dépend de l’énergie, du temps et de la méthode que l’on y consacre. Ce qui peut être résumé en un terme : L’effort persévérant au service d’un projet personnel, à la fois ambitieux et humaniste.
Enfin, si l’effort est associé à la pénibilité, rappelons avec Knobé (Op. Cit.) que «  La pratique sportive est […] aussi pourvoyeuse d’un cadre de socialisation spécifique caractérisé par des sorties, des déplacements, des relations amicales, etc  » et plus généralement jalonné par des réussites et des moments de plaisir et de joie intense collectivement partagés.

Références :

  • Basquin, R. (1977). Mécanique. 1ère et 2ème parties. Delagrave éditeur.
  • Borg, G.-A.-V. (1962). Physical performance and perceived exertion. Lund : Gleerup.
  • Carfantan, S. (2002). Nature de la volonté. Philosophie et spiritualité. En ligne.
  • Centre National de Ressources Textuelles et Lexicales (2012). Effort. En ligne.
  • Delignières, D. (2000). Que signifie faire un effort ? In L’effort. Editions Revue EP.S.
  • Durey, A. (1997). Physique pour les sciences du sport. Masson éditeur.
  • Famose, J-P. (1993). Cognition et performance. Publication INSEP. Paris.
  • Knobé, S. (2008). La performance au regard de l’effort sportif : quelques réflexions. ¿ Interrogation ? n°7 : Le corps performant. En ligne.
  • Tilley, D. (2018). Are oversplits bad ? Theatre Art Life. En ligne.
  • Zatsiorski, V.-M. (1966). Les qualités physiques du sportif. Editions Culture physique et sport. Document INS n°685. Traduction de Marcel Spivak.

Voir en ligne : Exiger des efforts pour progresser : Est-ce dépassé ?

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